Thématique d’impact : Droits Humains (DH)
Thématique d’impact des nouveaux standards de B Lab : Droits Humains (DH). Par Bernard Gouw, Senior Social Standards Manager, B Lab Global
Depuis 2006, les standards établis par B Lab définissent les performances qu’une entreprise doit atteindre et améliorer en continu pour obtenir et conserver la certification B Corp. Ils ont évolué au fil des années pour renforcer leur impact et clarifier ce que signifie être une entreprise à impact (purpose-driven company) , en intégrant les retours d’une large diversité de parties prenantes.
Aujourd’hui, les nouveaux standards de B Lab s’articulent autour de sept thématiques d’impact. Pour répondre à leurs objectifs, ils fixent des exigences minimales et spécifiques dans chacune de ces thématiques. Conçus dans la continuité des standards existants, ils introduisent de nouvelles thématiques d’impact et font évoluer certaines exigences déjà en place, afin de renforcer l’impact positif des entreprises.
Ils incarnent le principe fondateur de la communauté B Corp : l’amélioration continue.
Décrivez la thématique d’impact en quelques mots :
La thématique d’impact sur les droits humains exige des entreprises d’identifier, de prévenir et d’atténuer les risques que leurs activités et leurs chaînes de valeur peuvent faire peser sur les droits humains. Elle reflète un alignement attendu de longue date avec les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains (UNGP).
Quel est l’objectif de cette thématique d’impact, et pourquoi est-elle essentielle aujourd’hui ?
Depuis l’adoption des UNGP en 2011, un changement fondamental s’est opéré : il est désormais reconnu à l’échelle mondiale que toutes les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits humains. Cela passe par la mise en œuvre d’une diligence raisonnable en matière de droits humains.
En néerlandais, cette notion est parfois qualifiée de “anti-wegkijk”, que l’on peut traduire par “ne pas détourner le regard”. Cette expression résume bien les limites de l’approche historique. Trop souvent, les entreprises ne savaient pas où regarder, ou bien choisissaient délibérément de regarder ailleurs.
La diligence raisonnable en matière de droits humains implique une attention active aux impacts négatifs potentiels sur toutes les parties prenantes concernées : les salarié.es, les travailleurs de la chaîne d’approvisionnement, la clientèle, les consommateurs et consommatrices, etc. Bien que vaste et parfois décourageante, cette responsabilité devient plus gérable lorsqu’elle est structurée, ciblée et portée par une volonté d’apprentissage et d’amélioration continue.
À terme, la diligence raisonnable en matière de droits humains doit devenir aussi naturelle que la sécurité alimentaire ou la diligence financière sont des enjeux aujourd’hui bien intégrés par les entreprises.
Comment cette thématique a-t-elle évolué au fil du processus d’élaboration, et quels éléments ont influencé ces évolutions ?
Dès le départ, l’objectif était clair : aligner nos standards sur les UNGP. La difficulté principale réside dans le fait que les UNGP ainsi que la plupart des cadres relatifs aux droits humains ont été pensés pour les grandes entreprises. Une grande partie de notre processus de développement a consisté à adapter cela aux réalités des petites entreprises, qui composent l’essentiel de la communauté B Corp. Cela a notamment conduit B Lab à collaborer avec Fairtrade International pour publier “People and planet in business : A simple guide to how small and micro companies can start or strengthen their due diligence” un guide de diligence raisonnable en matière de droits humains destiné aux petites structures.
Trois évolutions majeures ont été introduites depuis les projets partagés au début de l’année 2024 :
- Nous avons créé une nouvelle exigence pour les entreprises opérant dans des zones de conflit.
- Nous avons ajouté des exigences pour les grandes entreprises concernant la remédiation de leurs impacts négatifs.
- Nous avons ajouté une exigence en matière de sélection des investissements.
Un résumé complet des changements est disponible dans cet article : Résumé des changements apportés aux nouveaux standards de B Lab
Quelles sont les exigences de cette thématique d’impact qui vous semblent les plus impactantes – et pourquoi ?
Les exigences de la thématique “droits humains” qui me semblent les plus impactantes sont celles liées aux fournisseurs dans l’exigence DH4. Elles représentent un renforcement important de nos standards pour la gestion des impacts sociaux dans les chaînes d’approvisionnement.
La sous-exigence DH4.5 me paraît particulièrement structurante. Elle porte sur les clauses contractuelles avec les fournisseurs, un domaine souvent à l’origine de déséquilibres systémiques dans les chaînes d’approvisionnement. Elle s’appuie notamment sur les travaux du Responsible Contracting Project.
Dans cette sous-exigence, nous demandons aux entreprises de comparer les attentes imposées aux fournisseurs avec leurs propres engagements. Et ce, dans une perspective juridique. L’objectif est d’éviter des attentes vides ou injustes à l’égard des fournisseurs. Par exemple, les codes de conduite des fournisseurs sont devenus une pratique courante, exigeant souvent des fournisseurs qu’ils promettent de ne rien faire de mal, ce qui est déséquilibré, injuste et irréaliste. Cette exigence oblige les entreprises à se demander dans quelle mesure elles traitent équitablement leurs fournisseurs dans les documents qui encadrent leurs pratiques d’achat. À grande échelle, cela implique de corriger les déséquilibres de pouvoir entre les acheteurs et les fournisseurs, qui reflètent à bien des égards les déséquilibres de pouvoir entre le Nord Global (où se trouvent de nombreux acheteurs) et le Sud Global (où se trouvent de nombreux fournisseurs).
En quoi cette nouvelle thématique d’impact s’inscrit-elle dans la continuité des standards existants ?
La thématique d’impact sur les droits humains introduit beaucoup d’éléments inédits. Une exception notable concerne les Exigences de base pour les Entreprises Multinationale qui devaient déjà disposer d’une politique en matière de droits humains. Avec ces nouveaux standards, cette exigence s’étend à toutes les entreprises de taille moyenne et plus.
Quels sont les principaux axes de progression pour les entreprises ?
La thématique d’impact sur les droits humains permet aux entreprises de franchir un cap en matière de diligence raisonnable dans le domaine des droits humains. Bien que le langage ou le cadre empruntés aux UNGP peut sembler nouveau, de nombreuses entreprises appliquent déjà, souvent sans le savoir, les principes de diligence raisonnable en matière de droits humains. Elles ne partent donc pas de rien.
Des actions telles que la protection des salarié·es, l’amélioration des conditions de travail dans la chaîne d’approvisionnement et la garantie que la sécurité des produits mis sur le marché font toutes partie de la diligence raisonnable en matière de droits humains. Ce qui change c’est la cohérence et la systématisation attendue.
Nous attendons également des entreprises qu’elles considèrent l’ensemble de leurs impacts négatifs potentiels, y compris indirects. Par exemple, les entreprises fabriquant des boissons alcoolisées ou des friandises sucrées travaillent sûrement déjà sur leurs pratiques en matière de chaîne d’approvisionnement, mais elles devront également prendre en compte des impacts sur la santé des consommateurs et consommatrices. De même, une agence de marketing dont la chaîne d’approvisionnement est limitée devra tenir compte de qui sont ses clients et clientes, et de l’impact de ses services sur ces derniers.
Quel conseil clé donner aux entreprises engagées dans la mise en œuvre des nouveaux standards, en particulier sur cette thématique ?
Les entreprises peuvent prendre les mesures suivantes pour commencer à travailler sur cette thématique d’impact sur les droits humains :
- Téléchargez et étudiez les Principes Directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains pour vous y référer facilement (en [EN] [ES] [FR]). Consultez les documents d’accompagnement comme la “Foire aux questions” [FR] [ES] [FR] [PT] et le “Guide d’interprétation” [EN] [ES] [FR].
- Pour les petites entreprises et les entreprises de taille micro, ainsi que pour toute personne moins familiarisée avec la diligence raisonnable en matière de droits humains, lisez ce guide co-écrit par B Lab et Fairtrade International.
- Pour les grandes entreprises, étudiez les interactions entre les différentes exigences.
- Repérez les synergies entre les thématiques d’impact Droits Humains (DH) et Gestion Environnementale et Circularité (GEC) – certaines actions peuvent répondre à plusieurs exigences simultanément. Par exemple, les entreprises de conseil peuvent évaluer les risques sociaux et environnementaux liés à leur clientèle en une seule fois.
Pourquoi Justice, Équité, Diversité & Inclusion (JEDI) et Droits Humains (DH) sont-elles des thématiques d’impact distinctes ?
Bien que profondément liés, les thématiques d’impact Justice, Équité, Diversité & Inclusion et Droits Humains sont traités séparément dans les nouveaux standards. Leurs intentions et leurs objectifs finaux sont les mêmes : garantir que chaque individu soit traité avec respect et dignité. Ils restent néanmoins des sujets distincts dans les nouveaux standards parce qu’ils occupent des espaces distincts dans l’écosystème du développement durable. Les cadres, les standards, les outils et les orientations se concentrent souvent sur l’une de ces deux thématiques d’impact. Aussi, au sein des entreprises, ces enjeux sont souvent traités par des équipes différentes.
Les droits humains dans le contexte des entreprises sont généralement définis en termes de diligence raisonnable en matière de droits humains, en se concentrant principalement sur la prévention des préjudices causés aux personnes. Cela découle des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux Entreprises et aux Droits humains. La thématique d’impact JEDI, en revanche, n’est pas explicitement ancrée dans un tel cadre et se réfère à la fois à la prévention des préjudices et à la recherche d’impacts positifs.
Avec le temps, nous nous attendons à ce que les enjeux JEDI et les droits humains convergent dans l’écosystème du développement durable. Mais pour l’instant, nous les considérons comme distinctes malgré leurs liens conceptuels.
ENCART SUR LA FRANCE
La diligence raisonnable : un pas de plus pour la France et l’Europe
La France fait partie des pays en avance sur la question de la diligence raisonnable en matière de droits humains. Depuis 2017, elle est dotée d’une loi sur le devoir de vigilance qui oblige les grandes entreprises françaises à repérer les risques graves sur les droits humains et l’environnement, et à mettre en place des mesures pour les prévenir et y répondre. Cette responsabilité concerne non seulement leurs propres activités, mais aussi celles de leurs filiales et de leurs partenaires au travers de la chaîne d’approvisionnement, partout dans le monde.
Cette approche pionnière, avec la loi LkSG allemande, a notamment inspiré les récentes évolutions au niveau européen à travers la Directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité (CSDDD). Initialement ambitieuse, cette directive visait à harmoniser et renforcer le cadre de la diligence raisonnable à travers l’Europe. Cependant, l’Union européenne, dans une volonté d’alléger le fardeau administratif et de renforcer la compétitivité des entreprises, a récemment proposé des modifications via le paquet législatif “Omnibus”, dévoilé le 26 février 2025. Si l’Omnibus prévoit de revoir à la baisse certaines exigences de la CSDDD, le texte est toujours aujourd’hui en discussion et les modifications n’ont pas encore été définitivement adoptées au niveau européen.
Aussi, bien que ces textes européens et français permettent de définir un socle important, les nouveaux standards B Corp vont plus loin dans plusieurs domaines concernant les droits humains. Les entreprises micro, petites et moyennes, qui ne sont pas aujourd’hui couvertes par ces lois, sont invitées dans le cadre de la certification B Corp à structurer une démarche volontaire : prendre des engagements publics, identifier leurs impacts potentiels, ou encore mettre en place des mécanismes de réclamation. Par ailleurs, les grandes entreprises, quant à elles, doivent aller au-delà du cadre légal en étendant leur vigilance à leurs clientèle et à leurs investisseurs, en intégrant des considérations sur les salaires équitables et en s’engageant activement avec leurs fournisseurs sur les enjeux prioritaires.